Justice : « Ma cliente a dû vivre quatre ans d’attente »
Une article du TELEGRAMME, par Thierry Charpentier
Le 07 octobre 2023 à 10h55
Des avocats, dont certains souhaitent l’anonymat, déplorent ces délais d’instruction qui s’étirent, et pointent leurs effets délétères, notamment pour les victimes d’infractions sexuelles.
Plusieurs dossiers de cette avocate finistérienne attendent leur heure dans le cabinet de l’instruction quimpérois. « C’est un sujet qui me rend un peu dingue. Ça n’avance pas. Chaque juge qui reprend le cabinet n’a pas le temps matériel d’absorber autant de dossiers. On a même des demandes d’actes pour lesquels on ne nous répond pas », constate-t-elle, amère. Elle a saisi le doyen des juges d’instruction, « mais on a très peu de moyens d’action », regrette-t-elle.
En Bretagne, les juges d’instruction surnagent
« Parfois, il vaut mieux une enquête préliminaire bien faite »
Un dossier lui vient instantanément à l’esprit : « Je suis en partie civile pour une jeune fille victime de viol. Ça n’a pas bougé depuis janvier 2022. Elle a été reçue une fois en compagnie de ses parents, et rien depuis. Heureusement, il y avait eu, auparavant, à ma demande, une confrontation au commissariat. Au moins, j’ai quelque chose dans mon dossier ! ».
L’une de ses consœurs morbihannaises, qui a une dizaine de dossiers à l’instruction à Lorient, en vient à penser « qu’il y a des dossiers qui ne peuvent se passer d’instruction, mais parfois, à choisir, de mon point de vue de partie civile, il vaut mieux une enquête préliminaire bien faite qu’une instruction qui s’étire ».
« L’impression qu’on se fichait d’elle »
Elle relate les mêmes écueils : « J’ai un dossier qui arrive enfin à l’audience, ce mois d’octobre. L’enquête préliminaire date d’octobre 2018, et l’instruction, en tant que telle, a été ouverte en février 2019. Ma cliente, une jeune femme qui a dénoncé des viols incestueux alors qu’elle était toute jeune majeure, a dû vivre quatre années d’attente. Ça a été catastrophique pour elle. Elle attendait l’issue de cette procédure pénale pour avancer. Elle avait l’impression qu’on se fichait d’elle. Aujourd’hui, elle est un peu plus apaisée, mais elle s’est sentie complètement abandonnée par la justice ».
« La digue recule »
Une autre plaideuse s’interroge : « J’ai un dossier de tentative de meurtre qui est passé en comparution immédiate. Je pense que c’est pour éviter une ouverture d’instruction ».
Me Omez est plus catégorique : « Le problème est qu’en huit mois, il y a eu 160 comparutions immédiates devant le tribunal de Quimper. Je ne dis pas que toutes méritaient une instruction, mais les affaires de stupéfiants sont d’une complexité telle qu’elles ne devraient pas venir en comparution immédiate ! Et si vous demandez un renvoi à l’instruction, vous êtes quasiment assuré de ne pas l’avoir… ». Pour lui, « la digue recule progressivement », au point de voir certains dossiers atterrir en CRPC-défèrement (*).